samedi 16 octobre 2010

Dossier interessant sur l'évolution des prix immo par rapport aux revenus

Immobilier: la fièvre acheteuse ne retombe pas en France

RTR22P3J_Comp Les crédits immobiliers sont au plus bas depuis 1945! Voilà une information qui claque, une incitation à se ruer sur les vitrines des agents immobiliers et à devenir propriétaire sur le champ. Et tant pis si cela vous transforme en affreux sédentaire et augmente vos chances de chômage. On apprend dans le même temps que ça y est, Allelujah, les prix non seulement repartent à la hausse mais atteignent des nouveaux records à Paris. Les grands fournisseurs de statistiques, d'informations ou d'interventions médias sur le sujet que sont la FNAIM, Century 21, Kaufman&Broad ou la Chambre des Notaires ont sorti les chapeaux pointus et les langues de belle-mère. Pour eux, pas de doute, quand l'immobilier va, tout va! Personnellement, j'ai toujours un peu de mal à croire aux informations et aux analyses données par les susnommés, un peu comme si mon buraliste me fournissait les stats de la nocivité du tabac et du cancer du poumon. En tout cas, les données sur les prix sont de faible qualité (ce qui est admis par le ministère des Finances) et les acteurs du métier se sont engouffrés dans la brèche pour exercer un lobbying très efficace. Alors, tous chez le notaire? Et la bulle? Une histoire pour faire peur aux enfants?

L'immobilier grimpe jusqu'au ciel

A partir de 1997 (ou en tout cas autour de cette date), la majeure partie des pays de l'OCDE connaît un boom immobilier pendant 10 ans. L'Irlande, dans un contexte de bulle généralisée, tient la palme avec des prix multiplié par 3.5 en 10 ans et qui commencent à plafonner avant même que la crise n'éclate (voir aussi cette note sur la bulle en Irlande du Nord). On retrouve ensuite le Royaume-Uni et l'Espagne en bonne place. Juste après vient la France, largement devant les Etats-Unis, dont la bulle immobilière a été, contrairement à ce que pourrait laisser à croire la loupe grossissante des subprimes, moins forte que celle de nombre de pays européens :

Screenshot - 10_10_2010 , 19_34_42Evolution des prix de l'immobilier net d'inflation ; base 100 en 1997 ; source : OCDE

A noter que le Japon, ayant connu un krach immobilier de grande ampleur au début des années 90, et l'Allemagne pour diverses raisons, sont restés à l'écart de la hausse globale.

Les prix de l'immobilier ne peuvent évoluer "hors-sol". Ils sont intrinsèquement liés aux revenus. Si ceux-ci progressent lentement, l'immobilier ne peut progresser rapidement très longtemps. Tout écart trop fort ne peut être soutenable à long terme. Or, cet écart a été extrêmement prononcé sur la dernière décennie (les prix immobiliers ont grimpé 75% plus vite que les revenus en France):

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Evolution des prix de l'immobilier net d'inflation rapporté à l'évolution des revenus ; base 100 en 1997 ; source : OCDE

Le seul recours pour permettre de conserver cet écart entre les prix de l'immobilier et les revenus est de jouer sur l'endettement. C'est bien ce qui s'est passé en France où, en quelques années, la norme est passée d'un crédit sur 10 à 20 ans à une durée de 20 à 30 ans :

Screenshot - 10_10_2010 , 20_09_33Aux Etats-Unis, dans un contexte d'endettement déjà fort, la solvabilité a été créée artificiellement par les produits subprimes. En Espagne, les durées d'emprunt ont été encore plus allongées qu'en France (avec des crédits jusqu'à 50 ans).

La France est-elle devenue, à la suite de cette bulle, un pays de propriétaire? Pas vraiment, seul un peu plus d'un Français sur deux l'étant, contrairement aux deux autres pays les plus touchés sur le continent: l'Espagne (85% de propriétaires) et le Royaume-Uni (71%). L'Allemagne ne compte que 42% de propriétaires mais est resté à l'écart de la bulle. Seule les Pays-Bas peuvent être comparés à la France avec une bulle relativement similaire et un taux de propriétaires comparable:

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Si les chiffres précis manquent, on sait tout de même que la part des primo-accédants est tombée de 66.3% entre 1997 et 2001 à 60% entre 2002 et 2006. La flambée immobilière s'est donc en bonne partie jouée entre les propriétaires déjà existants.

Autre relatif paradoxe: malgré cette période de hausse, la qualité des logements français reste comparativement inférieure à de nombreux pays européens.

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Comportements face à la crise

L'inflexion due à la crise s'est faite sentir de façon synchrone dans tous les pays. Au début 2007, 85% des pays de l'OCDE étaient dans une phase montante. Ce chiffre tombe à moins de 40% fin 2007 et 10% début 2008. Après trois trimestres continus de forte crise, la situation redevient plus mitigée à partir de 2009 :

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Pourcentage des pays de l'OCDE connaissant une évolution nette (hors inflation) des prix de l'immobilier d'un trimestre sur l'autre (source OCDE)

En France, le diagnostic est celui d'un atterrissage en douceur avec une décélération progressive entre 2006 et 2008, une correction assez légère en 2009 (6 à 10%) et un redémarrage en 2010 :

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A Paris, la baisse a été très faible et très courte et les prix ont atteint de nouveaux records en 2010 :

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Source : Chambre des notaires de Paris

On trouve une tendance similaire au Royaume-Uni, avec une baisse bien plus forte qu'en France mais également de courte durée et une reprise rapide de la progression :



Screenshot - 10_10_2010 , 21_40_35Prix moyen d'un logement au Royaume-Uni

La purge a par contre été extrêmement brutale aux USA :

Falling home prices chart big

et si les prix se sont stabilisés, rien n'indique un redémarrage :

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L'Espagne qui avait connu la plus grosse bulle du continent après l'Irlande, connaît une baisse continue depuis 41 mois avec une baisse totale de 24% :

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C'est encore pire en Irlande où les prix ont chuté de 35% depuis le pic d'avant-crise. Entre l'été 2009 et l'été 2010, les prix ont chuté de 14% dans le pays et de 25% à Dublin.

Si l'on prend le panel des pays qui avaient connu les plus fortes bulles immobilières, on se rend compte que les USA, qui avaient pourtant connu une bulle modérée par rapport aux pays européens, est le pays qui a connu la plus grosse purge. Les champions européens, l'Espagne et l'Irlande, ont eux connu une dégringolade très forte et qui n'est pas finie. Le Royaume-Uni a connu une baisse très forte mais de courte durée et les prix remontent. Reste enfin le cas français où, malgré une bulle très importante, la baisse a été faible (10% environ), courte et où les prix repartent à la hausse voire battent de nouveaux records.

Des facteurs objectifs pas suffisants

Pourquoi la bulle n'a-t-elle pas explosé en France? Un des facteurs objectifs poussant l'immobilier à la hausse est le nombre moyen de personnes par foyer. Celui-ci était de 2.3 en 2005 (2.4 en 1999). Entre 1999 et 2005, le nombre de personnes vivant seules a progressé de 15% environ (8.5 millions), le nombre de familles monoparentales de 10.5% et le nombre de couples sans enfants de 13.2%. Pendant ce temps, le nombre de foyers couples+enfants a baissé de 3% :

Graphique1_tSource : Insee, Recensements de la population de 1954 à 1999, Enquêtes annuelles de recensement de 2004 à 2006.

Parallèlement, la surface des logements s'agrandit. La taille moyenne des résidences principales est passée de 102 à 111 m2 entre 1992 et 2006 en habitat individuel (56% du parc) tandis que la surface de l'habitat collectif (66 m2) restait stable. Pour l'ensemble du parc, le nombre de m2 par occupant est passé de 27 à 40m2 entre 1977 et 2006 soit 50% d'augmentation en 30 ans. Ceci crée évidemment une demande croissante de surface de logements mais a aussi des conséquences positive : en 1984, 17% des ménages étaient en situation de "surpeuplement" selon l'INSEE contre 9% aujourd'hui.

L'autre facteur objectif est la baisse des taux. Le coût du crédit, après avoir augmenté fortement à l'époque des tensions sur le marché inter-bancaire, a chuté après que les liquidités aient inondé le marché pour tenter d'enrayer la crise :

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Taux fixes moyens sur emprunt à 20 ans ; source : empruntis.com

Il existe donc un vrai appel d'air pour les ménages. Un foyer avec un apport initial de 50.000€ et une capacité de remboursement de 2.000€/mois peut aujourd'hui acheter un bien à 400.000€ sur 20 ans contre 340.000€ en juillet 2008. Encore faut-il aller au-delà du taux "sec" et effectuer un différentiel entre le taux et la progression de revenus. Il est encore trop tôt pour avoir une estimation de la progression des revenus 2010 mais on peut comparer les taux avec l'inflation. Les taux (20 ans) sont actuellement à environ 2% nets d'inflation. Ils étaient à 1.8% mi-2008 et 3% début 2007. On voit donc que la baisse actuelle est un trompe-l'oeil. Si les taux sont bas, l'inflation l'est aussi et il est probable que les revenus vont être stagnants.

On évoque également une pénurie persistante de logements. Ici, le constat est nuancé. Il existe en France Métropolitaine 29.3 millions de logements (hors résidences secondaires) pour 26.2 millions de ménages soit 1.1 logements par ménage (le ratio est nécessairement supérieur à 1 compte-tenu des périodes de rénovation, des vacances entre les occupants, ...). Le marché est plus tendu qu'en Espagne (1.52) mais moins qu'au Royaume-Uni (1.044) et comparable aux USA (1.10). Evidemment, cette situation présente des contrastes forts selon les villes (Paris / province notamment) mais c'est le cas dans les autres pays (Londres / reste de l'Angleterre par exemple). Néanmoins, ils montrent que le manque de logements n'est pas suffisant pour expliquer le maintien voire la hausse des prix.

En résumé, les facteurs objectifs ne permettent pas d'expliquer la situation française. La fragmentation des ménages n'est pas une spécificité française, la baisse des taux sévit partout, la pénurie de logements est un mythe pour une bonne partie de la France, et la situation parisienne peut être comparée avec celle de Londres, Barcelone ou Madrid.

Une bulle qui repose sur la psychologie ... combien de temps ?

Le facteur explicatif pourrait bien au final reposer sur la psychologie. Il existe une appétence extrêmement développée pour la valeur "pierre" basée en grande partie sur un système de croyance. Cette appétence se mesure notamment à la fréquence à laquelle se succède le marronnier sur le prix des logements dans les magazines. Elle est par ailleurs fortement entretenue par le lobby immobilier qui a pratiquement seule voix au chapitre sur le sujet dans les médias.

Ainsi, les français pensent majoritairement que le placement immobilier est le plus sûr et le plus rentable. Ainsi, en 2003, 67% des français pensaient que l'immobilier était le placement le plus sûr devant le livret d'épargne avec 11%. Etonnante hiérarchie des risques ! Quant à la rentabilité, sur le long terme, les marchés actions ont pour le moment toujours mieux performé que l'immobilier :

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L'immobilier est d'autant plus prisé qu'il existe chez les Français une vraie aversion des marchés actions (et des placements financiers en général). La pierre représente 64% du patrimoine des français. 60% des français en détiennent mais seulement 16% d'entre eux possèdent des actions. L'écart est encore plus criant pour les ménages (42% de l'ensemble) possédant entre 100k€ et 400k€ de patrimoine : 95% possède de l'immobilier, 20% des actions. L'actif financier des ménages français représente un peu moins de 3 ans de revenus contre 4 à 5 au Japon, aux USA mais aussi en Belgique, aux Pays-Bas, au Danemark. Surtout, les français considèrent que "l'immobilier ne peut que monter", le type même de croyance propre à créer des bulles (de la même façon que l'on pensait avant le Krach Internet que les valeurs technos ne pouvaient que monter).

Malgré ces facteurs psychologiques, la déconnexion entre les prix et les revenus ne peut qu'engendrer une baisse à terme. La courbe ci-dessous montre l'écart entre les prix immobiliers et les revenus. On voit qu'en 1990, les prix parisiens avaient augmenté 40% au-delà de l'évolution des revenus. S'en est suivi un krach rampant à partir de 1991 qui a ramené progressivement la courbe des prix sur la courbe des revenus :

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Ainsi, un rapport de Natixis sorti en février 2010, soit avant la nouvelle hausse des prix, estimait que les prix de l'immobilier avaient trop baissé aux USA et au Royaume-Uni, que la purge avait été suffisante en Espagne et en Italie mais que les prix restaient sur-évalués en France (10/15%). Enfin, n'oublions pas les mesures qui ont été prises pour tenter de maintenir la bulle et notamment la déductibilité des intérêts d'emprunts. Mais cette mesure va être sacrifiée sur l'autel de la rigueur et ne va plus tirer le marché. Idem pour la loi Scellier qui voit ses avantages rabotés.

Ainsi, la France n'a pas "profité" de la période 2008-2009 pour purger sa bulle immobilière contrairement aux autres pays où celle-ci avait sévi. Et, désormais, comme dans nombre d'autres pays, l'immobilier est reparti à la hausse, tiré par des taux d'intérêts très faibles liés à l'injection massive de liquidités dans l'économie. Occasion manquée d'assainissement qui fait peser une épée de Damoclès sur la timide reprise française. Car les prix devront baisser tôt ou tard. Faut-il s'en désoler ? Pas forcément. Des prix hauts de l'immobilier créent une barrière à l'accession à la propriété pour les jeunes et favorisent les plus âgés qui sont les plus gros détenteurs de patrimoine immobilier. A l'heure où le financement des retraites et de la santé font peser un poids de plus en plus fort sur les jeunes générations et où les retraités sont désormais plus riches que les actifs, un krach immobilier serait un bienvenu transfert de richesse en sens inverse.